jeudi 17 avril 2008

DESIR D'ECRIRE



Ecrire était aussi chez elle une sorte de thérapie, son psychanalyste de luxe, un confident sans corps et sans âme. Elle se souvenait de ces quatre gros cahiers - ni plus ni moins gros que celui qu'elle tenait dans ses mains - ces cahiers qu'elle avait remplis entre ses onze et vingt ans... Refuges de ses joies et de ses peines d'adolescente, dont le contenu est si intime qu'il lui est littéralement impossible de les relire sans se sentir dans des états mentaux insupportables! Mais maintenant elle n'a plus ni joie ni peine à raconter seulement les choses les plus simples qui sont dans sa tête.
Par exemple, cet après-midi, elle se sent fatiguée mais bien pourtant. Elle ne fait rien de spécial, elle s'allonge un peu partout dans cette maison pour lire tranquilement ou écrire. Par exemple, de temps en temps elle aperçoit par la fenêtre les chevaux qui déambulent inlassablement dans leur pâture. Ou bien elle sent tout particulièrement la température si douce depuis un mois.
Elle avait pris la voiture pour aller acheter le cahier avec l'intention d'en noircir les pages. Elle se disait qu'elle ne l'écrirait que pour elle-même, sans autre témoin qu'elle-même. Elle pourrait donc y mettre tout ce qu'elle voudrait y retrouver plus tard, quand cette époque serait révolue, que les temps auront changés.
Ecrire par exemple les queues des chevaux qui fouiaillent sans cesse autour de leurs cuisses... Ce genre d'image qui lui font ramener instantanément le corps et l'âme dans un passé proche ou lointain. Comment écrire, par exemple, pour se remettre dans cette tiédeur, dans cet environnement de verdure, cette approche du temps vacant?... Lorsque le plein temps scolaire aura repris, dans les six longs mois à venir, sans débander des rigueurs de l'hiver, de celles qui nous plongent chaque année progressivement dans les difficultés!... Et puis il y a les lettres de correspondance qu'elle ne sait subitement plus faire! Elle ne sait plus y mettre ce contenu poétique qui faisait de sa vie une mine de beaux moments bien qu'entrecoupés de longues heures passées morfondue au fond de son terrier... Brusquement, elle ne peut plus raconter les fleurs, les oiseaux, les grands arbres qui lui sont quotidiens, peut-être parce qu'elle les voit tous les jours et qu'elle ne se donne plus le droit d'en parler. Il n'y a aucun raisonnement qui puisse expliquer cela. Elle ne peut plus en parler, c'est évident, mais elle ne peut absolument pas dire pourquoi. Ici, dans le cahier qu'elle vient d'acheter, le pourra-t-elle à nouveau?

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